Amelia Oliva-Salvetti

« Prophète ! »

La première fois que j’ai rencontré la peinture d’André Vayrette, que je n’ai malheureusement pas connu, c’est grâce au peintre Paul Courtin qui, un jour, m’avait dit : « Tu devrais connaître ce peintre ! Il fait de la bonne peinture ! Tu verras. », alors je suis allée voir l’exposition de Poulx, en 1980, et j’ai compris que Paul avait entièrement raison.

Quand j’ai découvert sa peinture, j’ai été frappé par la rigueur, par le peu de moyens qu’il employait pour travailler, je pense que c’était un perfectionniste, et qu’il cherchait tellement loin qu’il essayait d’enlever tout ce qui l’embarrassait, et c’est ça, la grande peinture ; et puis il y avait aussi une construction extraordinaire.

Et surtout, chose très mystérieuse, on perçoit, derrière le style figuratif, une présence. Dans la peinture il y a toujours l’homme derrière celui qui l’a faite, mais, au bout d’un moment, quand on regarde la peinture, souvent on oublie le peintre, et bien, dans la peinture d’André Vayrette, on ne peut pas l’oublier. C’est le cas de ses autoportraits qui sont magnifiques, notamment je me souviens d’une aquarelle d’une rigueur et d’une technique parfaite, toute en transparence, c’était une merveille ! Mais même dans ses paysages, et dans tout ce que j’ai vu, on sent l’homme exigeant, quelque part, j’allais dire : « prophète ». Je crois qu’il allait plus loin que les autres peintres que j’ai connus à son époque parce qu’il essayait de travailler tellement loin cette technique pour épurer son art, tout en l’oubliant pour laisser son sujet parler, que c’était étonnant.

Je dis, « Prophète », dans le sens où c’est quelqu’un qui montre des choses que la plupart des gens ne voient pas, parce qu’il ne faut pas, simplement, être technicien, mais chez lui, en plus de sa technique, il y a quelque chose à voir que les autres n’ont pas vu… sa recherche de la perfection impressionne – tous les peintres cherchent la perfection, mais, chez lui, ça se sent de façon très forte : cela se matérialise par un sens profond du dessin, qui est à la fois très présent, mais qui sert la couleur et la matière, et c’est tellement un tout que je trouve qu’il y a là quelque chose de très approfondi, et en plus il utilise l’espace comme peu de peintres arrivent à le faire – il y a des peintres qui, dans toute leur vie, n’ont pas compris ce qu’est l’espace en peinture ! Alors que lui, il est en plein dedans ! L’espace, en peinture – on est tous dans l’espace, si on imagine autour de nous la poussière qu’il y a, si on avait des yeux plus perfectionnés on serait effrayé, on est dans un rideau, tout ça, ça existe, tout ce qui est autour de nous, toutes les épaisseurs, les couches d’air qu’il y a entre nous… par exemple un arbre, c’est quelque chose de fabuleux à travailler et bien non, il y en a qui font un fond et qui peignent un sujet devant : c’est pas ça la peinture – mais lui, il avait très bien compris ce qu’il fallait faire.

J’ai réalisé une rétrospective d’André Vayrette en 1981 au Musée du Colombier, parce que je trouvais qu’il le méritait, parce que je savais que c’était un peintre qui avait travaillé tout seul dans son coin, un peu oublié, de beaucoup, et donc j’ai pensé qu’il fallait l’exposer ; et puis il y avait aussi le fait que j’aimais sa peinture. Lors de l’exposition de Poulx j’avais découvert un tableau où il y avait un bouquet de violettes au milieu, un petit bouquet qui paraissait insignifiant à le voir mais d’une fragilité et d’une beauté et d’une technique parfaite, et surtout, ce qu’il y avait, c’était l’espace autour, il aurait pu se perdre dans une toile, il était au milieu – alors qu’on disait toujours aux étudiants des Beaux-Arts, à mon époque, pas ceux de maintenant, ne faites jamais un sujet au milieu, il faut le déporter un peu sur le côté pour qu’il soit élégant – mais, André Vayrette, lui, il avait fait ce bouquet en plein milieu et il nous avait « dit » l’espace avec différents plans, c’était magnifique ! Et tout ça a fait qu’on a décidé de faire cette rétrospective et ça a été une belle exposition.

Nous avions consacré une salle entière aux aquarelles, notamment des autoportraits splendides, avec des transparences et des légèretés remarquables, et à la fois c’était tellement bien dessiné que ces aquarelles, c’était une véritable prouesse !

Il y avait un autoportrait qui m’avait marqué, parce qu’il lui ressemblait, physiquement, j’avais vu des photos, mais sûrement parce qu’il ressemblait à l’être qu’il devait être tel que je l’imaginais, et puis il y avait cette technique dans ce portrait qui était d’une rigueur absolue, comme s’il savait maîtriser parfaitement l’aquarelle, comme beaucoup de peintres savent le faire, mais plus encore, comme s’il pouvait l’enfermer dans ce qu’il voulait, alors que l’aquarelle, souvent, il n’y a pas de hasard, mais il y a quelque chose de la transcendance de la matière qui se fait toute seule.

A travers cet autoportrait j’imaginais un homme travailleur, mais surtout je voyais quelqu’un qui cherchait. Il y avait aussi un autoportrait qui était une aquarelle, très rouge, c’était une peinture un peu angoissante mais à la fois très personnelle parce que si c’était peint en rouge, c’était qu’il y avait quelque chose qui devait être rouge, mais moi j’avais un faible pour l’aquarelle transparente où on pouvait aller loin, même dans sa morphologie, c’était étonnant je trouve !

Les dessins d’André Vayrette sont, d’une part, très beaux, d’une grande rigueur, mais on voit que ce ne sont pas simplement des travaux préparatoires, ce sont des œuvres en elles-mêmes ; et, on les retrouve dans la peinture, parce qu’en peinture on a la forme, on a la couleur, mais souvent, on est un coloriste mais on est moins quelqu’un qui sait travailler la forme, ou vice versa, mais lui, il avait les deux, c’est-à-dire que son dessin est parfait, rigoureux, il dit beaucoup de choses, mais il n’est pas là pour soutenir la peinture, il est là parce qu’il fait partie de la peinture, et, ça, c’est rare chez un peintre.

Quand on connait la peinture d’André Vayrette et celle de Paul Courtin, je pense qu’il y a eu, là, entre ces deux peintres, une grande rencontre… il y a quelque chose… on dirait des frères : leurs peintures ne sont pas du tout les mêmes, non, on ne peut pas dire qu’ils se sont copiés, pas du tout, mais il y a, chez chacun d’eux, la même rigueur, ils l’ont trouvée ensemble, on dirait qu’ils ont travaillé ensemble… Non pas qu’ils se sont influencés, mais qu’ils se sont mutuellement enrichis, ils se sont apportés beaucoup l’un à l’autre ; ça se matérialise par le choix des thèmes comme les autoportraits, les paysages, le monde familial, et puis il y a aussi une similitude dans la lumière, dans la forme, qui ne se copie pas du tout, mais qui dit la même chose, et donc, pour moi, par leur exigence dans leur travail, par le dénuement dans lequel ils ont vécu, ils font partie du même monde, celui des artistes totalement investis dans leur art, jusqu’à sacrifier leur vie pour lui… celui de Van Gogh.


[1] Amélia OLIVA-SALVETTI vit et travaille à Alès depuis le début des années 70. Depuis 1960 ses œuvres sont exposées dans de nombreux lieux et galeries : Marseille, Grenoble, Montpellier, Béziers, Vichy, Nîmes, Alès ; elle rend hommage à la danseuse Carolyn Carlson avec 45 toiles ; à New-York, c’est l’International Gallery qui la reçoit ; Art et Diffusion (Nice) l’accueille en résidence et l’expose.
Elle a participé au centre d’Art Contemporain Gilbert Domb de Mazac.
Lawrence Durell la choisit pour la Librairie-Editions de Sommières.
Invitée au Salon d’Automne (Paris) en 2009.
En 2011, elle présente des dessins et des peintures au Centre André Chamson à Alès et récemment à Avignon.
Conjointement à son activité de peintre, Amélia OLIVA-SALVETTI, a été pendant 20 ans la directrice artistique du MUSEE DU COLOMBIER D’ALES, Gard.

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