Armand STRUBEL Adjoint délégué à la Culture de Poulx

(Livret de l’exposition « André Vayrette accueille son ami le peintre Paul Courtin » Poulx 2017)

En 1980, la commune de Poulx recevait en legs l’œuvre d’André Vayrette, deux ans après la disparition de ce peintre qui a vécu de 1965 à 1978 dans une petite maison du vieux village, discret et solitaire. Ce don a permis aux Poulxois de découvrir, grâce à des expositions successives (1980, 2003, 2013), le travail exigeant d’un artiste sans concession, dont le souvenir est désormais gravé dans la toponymie.  

(la place André Vayrette, devant la Salle des Fêtes, après que celle-ci eut porté le même nom).

L’exposition de 2017 s’inscrit dans ce « devoir de mémoire », dans l’hommage réitéré rendu à un artiste qui, loin de toutes les modes, a pratiqué la peinture comme une véritable ascèse.

           Qu’elles soient portraits, paysages, fleurs ou fruits, huiles, aquarelles ou dessins, les productions d’André Vayrette ont une marque de fabrique et une puissance expressionniste qui ne laisse pas indifférent. Quel que soit le thème, André Vayrette, c’est d’abord une « patte » inimitable, souvent véhémente, l’expression d’une frénésie de peindre envers et contre tout : une passion sans compromis, qui habite et dépasse l’individu. La peinture fut bien pour lui « cosa mentale » (Léonard de Vinci), mais aussi son unique raison de vivre, à laquelle il a tout sacrifié, bravant le dénuement.

Les visages des portraits sont graves et pensifs, presque absents (Annonciade, Christian, autoportraits), mais apparaissent parfois avec une grande tendresse (Mon Fils). Les personnages des huiles (Adolescente, Ma mère et Le Temps), se font humbles et modestes, réfugiés dans un coin de la toile, souvent dominée par le fond et la recherche sur la couleur (comme ce jaune d’or qui attire le regard, au-delà du buste fragile de la jeune fille, qu’il marginalise presque).

           Il y a des paysages qui rappellent les turbulences de Van Gogh, transformant un chemin en véritable houle (La Draille). Les ciels sont toujours tourmentés, convulsifs et baignés d’un éclairage quasi –surnaturel ; à chaque fois ils constituent un exploit pictural (Poulx, La Pluie à Poulx) et le point nodal du tableau, autant que le « motif ».

Les audaces de la couleur (avec le cyprès bleu et jaune de Garrigue) comme la dissolution des formes dans la lumière (les « soleils mouillés des ciels brouillés » – pour pasticher une formule de Baudelaire qui s’applique à merveille à La pluie à Poulx -), témoignent d’un art pour lequel la nature n’est plus un cadre ou une réalité à décrire, mais le support d’une vision transfigurée. Une nature où l’homme se fait tout petit, frêle silhouette noyée dans un jour délavé et confondu avec le végétal… L’humain n’est parfois suggéré que par un objet (les échelles contre les troncs). Les tonalités violentes emportent tout.

            Si l’on a coutume de dire que le peintre nous parle de peinture et non du réel, les arbres « représentés » par André Vayrette en sont l’illustration parfaite. A travers une série d’aquarelles (Couchant à Souteyranne, Les Cerisiers, ) ou d’huiles (L’Arbre de vie, Vers les cimes), mais aussi dans le dessin (Etude de Cerisiers), les frondaisons se transforment en une débauche de figures géométriques et de fulgurances chromatiques. L’éclatement des formes et l’éclat des teintes atteint alors son paroxysme : un univers en fureur, dont le flamboiement de la toile Vers les cimes (où l’on dirait des cerisiers en feu, dont les branches sont des flammes) constitue le temps fort. Il n’y a pas d’art figuratif ou non figuratif, tout est figure, disait Picasso : nous sommes ici devant un témoignage vivant de cette disparition des frontières du réel qu’on retrouve, exacerbée, dans toutes les œuvres consacrées aux cerisiers ou dans Couchant à Souteyranne).

           Les nombreuses images de fleurs semblent plus facilement accessibles, plus familières, voire plus reposantes. Mais là aussi, le talent de l’artiste change le motif trivial en prétexte pour des compositions et des recherches picturales novatrices : des fonds torturés (Transfiguration, D’un monde à l’autre, Printemps, Recueillement, Lumière d’automne) submergent le sujet initial – branche, fleur ou bouquet – jusqu’à la limite de la désintégration dans la clarté (Transparences), ou dans un arrière-plan rutilant, telle une lave en fusion (Préludes).

           Le « solitaire de Poulx » avait heureusement un cercle d’amis, car son talent ignoré du grand public qu’il n’avait pas cherché à séduire, était salué par ses pairs, parmi lesquels Parsus et Courtin furent les plus proches. Paul Courtin, l’« isolé de Saint-Hilaire », autodidacte qui lui aussi vivait à l’écart du monde et restait hors des courants et de la facilité, dans sa ferme près d’Alès, est un frère en esprit et en travail. Son destin fut différent, car c’est l’année même de la mort d’André Vayrette que le cévenol a commencé à jouir d’une certaine notoriété grâce à un galeriste parisien et à des soutiens prestigieux comme Christian Charrière et René Huyghe (le grand critique d’art le classait parmi les « artistes précurseurs »). On retrouvera dans les toiles de Courtin exposées ici, en parallèle, une parenté d’inspiration : la même énergie, la même explosion du trait, la vibration de la matière et de la lumière, le choc des couleurs… Et l’on se dit qu’il a manqué peu de chose au Poulxois pour bénéficier d’une reconnaissance similaire.

(Œuvres de Paul Courtin)

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