Pierre Parsus

[1] Parsus/Pictor « André Vayrette » P140. (1949-1950).


« Autoportrait 1950 » – Pierre Parsus

 « Une camionnette est venue me conduire à la gare prendre le train de Paris. Celui qui la mène, celui avec qui tout à l’heure j’échangerai de sincères au-revoir, est un jeune nîmois.

           André Vayrette, c’est son nom, n’a que deux jours de moins que moi. C’est un chien fou, pareil au petit cocker qu’il balade au bout d’une ficelle, même démarche déglinguée, pataude, même zigzags dictés par une curiosité badaude. Mais, prenons garde, le regard dément cet éparpillement. Lourd destin, contemplation un peu désespérée, s’y lisent.

           Ce nouvel ami, il n’y a pas deux mois, livrait encore du linge en ville et à l’entour pour une blanchisserie de Nîmes. Maintenant il peint, se réclamant, dit-il, d’une réelle vocation, et si nous roulons en camionnette vers la gare, c’est qu’il osa l’emprunter à Pierre Lanvers, son ancien patron blanchisseur. A celui-ci, André avait juré que conduisant, il ne pouvait atteindre et desservir le quartier Tour Magne beaucoup trop élevé, jusqu’à l’instant où il a su qu’un peintre venu de Paris y vivait. Alors, Pierre Lanvers a appris, ébahi, que les possibilités motrices du véhicule culminaient désormais à cent-dix mètres et plus !

           Très vite André a voulu montrer sa peinture. Quelle intériorité dans ces essais de débutant ! Se retrouve, dans les bouts de toile ou cartons peints qu’il présente, ce que son regard si différent de sa gestuelle ne peut dissimuler : une réserve douloureuse, contemplative.

           La promesse d’un peintre rare se logerait-elle dans cet ostrogoth ? L’âme adopte de déroutantes enveloppes.

           Nous parlons tous deux à cœur ouvert, il confesse une jeunesse chaotique, raconte les années passées dans un sana. Il est marqué, il a vu et a cru mourir. Il a frayé la mort.

« Lucette malade » – Pierre Parsus 1950

La maladie de Lucette le touche, tout l’été il lui affirmera qu’elle guérira. Cet hypersensible est en tous les domaines un « réboussier ». Le terme « réboussier », courant à Nîmes, désigne l’opposant, l’éternel opposant par nature et principe. En clair, l’Anti-Tout. Le département entier est réboussier, c’est son grand charme. André Vayrette est pur gardois. Protestant aussi, par hasard !

« Mon fils » – André Vayrette

A son fils de cinq ans, sensible, impressionnable, il demande :

– « Christian, que veux-tu faire plus tard ? »

– « Commissaire de police » répond l’enfant poète, que l’agitation paternelle rend désireux d’un peu plus d’ordre.

           André manque s’affaler sur le ciment brûlant de la terrasse. « C’est terrible ! terrible ! » hurle-t-il bras tendu vers l’azur impassible.

« Annonciade/Lili » – André Vayrette

Lili, sa femme, lui a donné ce fils. Rousse, frêle, pâle, cette petite italienne en acier trempé est une travailleuse incomparable dans son métier de culottière.

– « Vous m’affirmez, Pierre, qu’André a du talent ? » insiste-t-elle, abrupte.

– « Il a, Lili, la personnalité, s’il travaille, il aura le talent. »

– « Dédé, dit-elle, se tournant vers son mari, tu peux peindre, je gagnerai notre vie à tous les trois, à une condition : tu me promets de travailler à ta peinture. » Dédé promet. C’est un grand jour, il fait même remarquer, présage, que le véritable prénom de sa femme est Annonciade, nom italien qui signifie en français : Annonciation !

           Dès le lendemain, il plante son chevalet auprès du mien, m’emprunte le Traité du Paysage d’André Lhote, explique à tout chaland qui veut bien l’écouter sa nouvelle destinée. Et puis, et puis, ça s’espace, se détend. Je me sens responsable. En ville, je le vois tout le jour au café.

           La Peinture est un face à face. Des heures seul devant le chevalet, devant soi-même, la toile qui vous ramène impitoyable à vos limites.

           Ami charmant, toi mon copain, qui, au volant, dans cet instant nous mène vers la gare, quel drame enfoui, quelle plaie te stérilise, t’interdit de te supporter ? » 


error: Ce contenu est protégé !